1er juillet 1914 – Faubourg Saint-Jacques – Maximilien Drouot

Maximilien Drouot tire sur sa pipe avant d’attraper le journal que son fils, comme chaque matin, a déposé sur la table de la salle à manger en revenant de son travail de nuit. Il parcourt les gros titres en marchant jusqu’au vieux fauteuil près de la fenêtre qui l’accueille chaque jour pour sa lecture. Il se laisse tomber en soupirant.

« Encore ces histoires ! » maugrée-t-il en voyant que les gros titres se consacrent une fois encore à la Bosnie-Herzégovine, un pays qu’il aurait été bien incapable de situer et où l’on pouvait bien s’entretuer, ça ne le regardait guère. Son vrai souci est tout autre et s’étale en caractères gras dans des colonnes plus resserrées mais bien plus intéressantes selon lui.

« V’là qu’ils nous augmentent encore les impôts ! C’est quand même pas possible, c’est pas comme si on gagnait trop ! »
Madame Aurélie Drouot, occupée à préparer le café matinal, lui jette un regard fatigué.
« Arrête de lire le journal si c’est pour râler à propos de tout.
— Ah, non ! s’insurgea-t-il en tirant de plus belle sur sa pipe. C’est quand même incroyable ! On va m’interdire de commenter ! Ma propre femme ! »
Son épouse dit simplement :
« Ton fils dort, je te rappelle qu’il est sorti du travail à 4 heures. Alors évite de parler si fort. »
Maximilien grommelle quelque chose puis marmonne un ton plus bas :
« Et v’là qu’ils veulent aussi réduire la semaine à quarante-neuf heures !
— Maximilien…
— Moi quand j’étais jeune, on travaillait soixante heures et on était bien content !
— Bon, ça suffit : tu poses ce journal, tu bois ton café et on y va, on travaille dans moins d’une heure maintenant. »

Il lève un sourcil en direction de sa femme et, réalisant qu’elle ne le laissera pas continuer à se plaindre en paix, il se lève et va la rejoindre à la table du petit déjeuner. Après l’avoir partagé en silence, tous deux se préparent puis s’apprêtent à partir. Madame Drouot note bien le regard pensif de son mari, et sourit en coin en sachant très bien ce qu’il prépare. Elle éclate d’un rire léger lorsqu’à la porte, comme elle s’y attendait, il quitte enfin le silence :
« De toute manière, les jeunes, ils ne veulent plus rien faire ! »

Tout en refermant la porte derrière eux, il ajoute :
« Ce qu’il leur faudrait, c’est une bonne guerre ! »

%d blogueurs aiment cette page :