21 juillet 2014 – Limoges – Robin Henry

La secrétaire lève une nouvelle fois les yeux de sa machine à écrire, fixant par-dessus ses lunettes austères le jeune homme malingre qui vient d’entrer dans son bureau. Il fait craquer ses doigts et ne garde pas plus de quelques secondes son attention sur le même point. Il finit par soutenir son regard et s’exprime d’un ton naïf :

« J’ai entendu dire que vous cherchiez quelqu’un. Je peux commencer tout de suite ! »

La femme lève les yeux en soupirant puis les repose sur le jeune homme pour lui expliquer.

« Vous avez dû mal comprendre : nous cherchons bien quelqu’un, et je veux bien prendre votre candidature pour la déposer à Mr le directeur, mais ça ne veut pas dire qu’il va vous prendre.
— Prenez-moi au moins à l’essai ! gémit-il.
— C’est Mr le directeur qui décide de ce genre de choses. Et puis ce n’est qu’un poste temporaire. » conclut-t-elle sèchement.

Robin lève la main droite comme pour faire obstacle à cet argument.

« Je sais ! C’est même pour ça que ça m’intéresse de travailler chez vous.
— Je ne comprends pas bien, monsieur.
— Ah, mais c’est pas compliqué, laissez-moi vous expliquer, madame ! (Il essaie de s’exprimer aussi tranquillement que possible, mais cela énerve tout de même la secrétaire.) Moi je suis ramoneur de profession, mais là, en ce moment, c’est pas vraiment la saison. Alors du coup, je suis disponible pour ce que vous voulez ! Et puis à l’automne, je m’en vais m’occuper des cheminées à nouveau ! »

La secrétaire cache à peine son dégoût : ici, c’est une usine de porcelaine, alors faire entrer un ramoneur, cela sonne comme une invitation à faire entrer la saleté. Elle lève une main tel un éventail pour chasser un insecte.

« Mr le directeur verra, je vous l’ai dit. Il y a d’autres candidats, dit-elle d’un ton qui n’appelle aucune discussion.
— Je vois, madame. »

Robin hausse les épaules, se lève et remet sa casquette de cuir. Il s’incline une fois à la porte pour saluer la femme qui s’est déjà remise à taper sur sa machine sans lui adresser la parole. Il quitte rapidement le petit local administratif accolé à l’usine et, sitôt dehors, sort un calepin de sa veste pour consulter une liste raturée. Il se reporte au dernier nom qui n’avait pas encore été barré, celui de l’entreprise de porcelaine qu’il vient de quitter. Il le raye d’un trait de crayon. Puis il arrache la page et s’attaque à la suivante, où une nouvelle liste l’attend : tout en haut, le mot « batelier » écrit en lettres maladroites.

« Hé bien, en route », marmonne Robin à lui-même en regardant en direction de la Vienne qui s’écoule paresseusement à quelques dizaines de mètres devant lui.

Il souffle et essaie de garder le moral : il y aura bien un endroit où l’on aura besoin de lui.

Ce serait bien, pour une fois.

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