29 juillet 1914 – Audierne – Yann Riou

Les deux hommes observent avec attention le plan étalé sur l’établi puis se grattent le menton, pensifs. Ils restent silencieux un moment, puis le plus âgé tourne ses yeux vers Yann, qui continue d’inspecter chaque détail en fronçant ses épais sourcils bruns :

« Il y a un problème ? demande, en breton, le pêcheur un peu inquiet.
— T’es bien gentil Hervé, mais c’est un sacré bateau que tu me demandes là, lui répond Yann dans la même langue.
— Sacré bateau, sacré bateau… il n’est pas très grand.

— On voit bien que c’est pas toi qui le construis ! » s’exclame le charpentier en passant sa main sur le plan pour mieux l’aplanir. Tu veux un nouveau bateau de pêche, j’entends bien, je peux te le faire, et avec quelques ouvriers, je suis sûr de pouvoir y arriver, mais ah ! il va te coûter son prix ! Il va me falloir les bons arbres, le bon bois, les bons hommes…
— Je suis sûr que tu trouveras ! dit Hervé, confiant.
— Ce qui ne change pas le problème : il va coûter cher. Pas le prix d’une goélette, c’est sûr, mais tout de même…
— Oh, je sais bien, mais c’est mon outil de travail, alors je veux quelque chose de bien. Et puis j’ai toujours fait fabriquer mes bateaux chez feu ton père, alors ton prix sera le mien. »

Yann regarde le pêcheur aux cheveux blancs ébouriffés lui sourire, puis se met à rire.

« Bon, tu sais quoi Hervé ? Je vais faire le tour des gars du village disponibles pour m’aider à construire ton bateau dès demain. Tu n’auras qu’à passer dans la soirée : je pourrai te donner un prix exact et le nombre de semaines avant de te le livrer. »

Hervé serre la main du charpentier, et tous deux sortent devant l’atelier pour observer l’océan qui lèche la côte, au son des vagues qui s’écrasent sur les rochers. Malgré le vent iodé qui cingle leurs visages, Hervé parvient à allumer sa pipe. Il tire tranquillement dessus avant de se tourner vers Yann :

« Au fait, tu as lu le journal ?
— Non. Il s’est passé quelque chose ?
— Je ne sais pas trop… une histoire avec les Russes, les Autrichiens, les Serbes… Comme j’y comprends rien, je me demandais ce que tu en pensais. »

Yann hausse les épaules en fixant une mouette qui joue avec le vent à quelques mètres d’eux. Finalement, il répond d’un ton détaché :

« Ce que j’en pense, c’est que c’est loin et que ça ne nous regarde pas. »

Puis il salue Hervé et s’en retourne vers son atelier étudier les plans du bateau.

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