22 août 1914 – Anderlues – Max Altenbach

« Leur mitrailleuse n’a plus de munitions, c’est le moment : baïonnettes au canon ! »

Appuyés contre le rebord du fossé bordant la route qui les protège des tirs français, Max et ses camarades sentent un frisson les parcourir : ils vont charger d’un instant à l’autre. Silencieusement, chacun tire sa baïonnette pour l’accrocher au bout de son fusil, puis on s’allonge à côté de son arme pour éviter que les lames scintillent et alertent l’ennemi. Le caporal aux côtés de Max essuie nerveusement la sueur qui coule de sous son casque, les dents serrées, et jette un regard rapide par-dessus le fossé. Puis, il se tourne vers Max et les autres :

« Prêts ? »

Personne ne répond. Il baisse la tête un instant, prend une grande inspiration puis se dresse en hurlant :

« En avant ! »

Son élan emporte tout le monde. Max et ses camarades jaillissent du fossé et, tout autour d’eux, d’autres escouades font de même, se ruant en avant, baïonnette au canon. Il y a tout un champ à traverser à découvert où gisent les camarades tombés là un peu plus tôt. De l’autre côté, se trouve le bois où les Français s’abritent : des arbres brisés et renversés là où l’artillerie a frappé. Tout le monde hurle aussi fort qu’il le peut, tant pour effrayer l’ennemi que pour faire taire cette voix intérieure qui crie d’aller se cacher.

Une flamme apparaît un instant dans le bois, suivie d’une détonation et de bien d’autres alors que les fusils français font feu. Max entend des balles siffler à ses côtés, et le bruit mou de projectiles s’enfoncer dans la chair alors que d’autres tombent autour de lui. Leurs cris s’arrêtent brutalement pour se transformer en gémissements alors qu’il les dépasse en courant.

Le bois se rapproche lentement, si lentement alors qu’il court aussi vite que possible, et Max distingue les képis rouges des Français qui lui tirent dessus. Le caporal à côté de lui continue de hurler :

« En avant ! En avant ! Vengez vos camarades ! »

À droite comme à gauche, des groupes entiers de soldats continuent de courir tandis que certains s’effondrent à leurs côtés. Combien vont-ils être à arriver dans le bois ? La seule et maigre consolation à laquelle pense Max en continuant sa course effrénée vers la position française est qu’on n’entend plus leur mitrailleuse rugir, enfin.

Max n’entend plus que sa propre respiration lorsqu’il arrive si près du bois qu’il aperçoit distinctement le numéro 24 sur le col des Français qui s’y trouvent. Quelques foulées de plus, et il disparaît sous les arbres où, déjà, la mêlée a éclaté sur sa gauche. Les coups de feu se font plus rares alors que l’on entend tinter les baïonnettes.

Un Français jaillit droit devant Max, le fusil braqué sur lui. Max sent son cœur se soulever dans sa poitrine alors que le temps semble ralentir. Le Français tire. Max sent la balle lui toucher l’oreille, et un sang chaud, le sien, lui couler le long du cou. Le Français a l’air terrifié d’avoir manqué sa cible, et Max hurle en se jetant sur lui pour ne pas lui donner de seconde chance. Le type en face a levé son arme où est fixée sa propre baïonnette. Max écarte la lame d’un coup de la sienne, et va pour la lui enfoncer dans le cœur.

Quelque chose de gelé l’arrête net en pénétrant sa chair : Max tourne la tête pour voir un second Français, juste à sa gauche, lui enfoncer sa baïonnette entre les côtes. Ils se regardent droit dans les yeux. Son assassin fait alors violemment tourner sa baïonnette en provoquant un râle de douleur chez Max qui sent l’acier torturer son poumon.

Il s’effondre sans un bruit quand le Français retire son arme. Il se retrouve couché dans l’herbe, les yeux tournés vers les branches des arbres qui s’agitent faiblement sous la brise d’été. Il tousse un peu de sang, les bruits de la mêlée autour de lui s’éteignent doucement. Des formes se battent à ses côtés sans lui prêter attention, et la seule pensée qui vient à l’esprit de Max est qu’il espère que sa famille ne sera pas trop triste.

Il tousse à nouveau, sent un sanglot monter dans sa gorge noyée de sang et, avec un dernier regret pour tout ce qu’il quitte, meurt sans un mot.

%d blogueurs aiment cette page :