8 décembre 1914 – Paris – Maurice Chaumette

 

Dans l’encadrement de la porte, Maurice regarde son bureau avec émotion.

Le bureau de bois laqué, jadis parfaitement aligné avec le reste du mobilier, est maintenant disposé complètement en travers de la pièce. Il semble avoir été éventré : là où étaient les tiroirs, on ne voit plus que des trous béants.

Une fine couche de poussière s’est déposée dans toute la pièce de l’hôtel de Brienne. Quelques papiers gisent sur le sol. Maurice reconnaît une dépêche du mois d’août adressée au ministre Messimy. Il va à la fenêtre et l’ouvre en grand afin de chasser l’odeur de renfermé. Quelques flocons de neige s’engouffrent aussitôt et un vent glacial fait virevolter les documents oubliés.

Maurice se penche pour se saisir d’une dépêche. Puis d’une autre. Il finit par s’asseoir à même le plancher, et se replonge dans chacune d’entre elles. Tous ces papiers abandonnés lors du départ précipité du ministère pour Bordeaux lui font revivre, jour après jour, heure par heure, l’enchaînement brutal des événements de l’été.

Un télégramme annonce brièvement l’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinand, sans s’alarmer outre mesure. Un rapport signale des préparatifs militaires en Autriche-Hongrie et préconise la prudence. Peu à peu, chaque document devient plus grave pour présenter la situation, qualifiée d’abord de priorité, puis de crise puis, enfin, de guerre.

Une copie de l’affiche de mobilisation générale est encore affichée au mur et, comme pour s’en moquer, un rapport punaisé juste en dessous liste les pertes en Belgique.

Les dépêches se suivent : des mouvements de troupes en Belgique, l’inefficacité des charges à la baïonnette face aux mitrailleuses et à l’artillerie. Un télégramme du haut commandement demande en urgence des fonds pour changer les pantalons et les képis rouges des troupes, qui en font des cibles faciles. Et puis, l’un après l’autre, les documents signalent les Allemands toujours plus près de Paris.

Tout s’arrête brutalement le 2 septembre lorsque le gouvernement abandonne la ville et que Maurice suit le cabinet du nouveau ministre, Alexandre Millerand, jusqu’à Bordeaux.

« Que faites-vous par terre, monsieur ? »

Un soldat de la garde républicaine est à la porte et observe le conseiller en pleine lecture. Maurice se relève et essaie d’ôter la poussière de son pantalon.

« Je triais des papiers. Cela m’a fait revivre les tristes semaines de cet été, dit Maurice dans un long soupir. En tout cas, c’est bon de retrouver Paris et son bureau, reprend-il en essayant d’adopter un ton plus léger.
— À qui le dites-vous ! s’exclame le garde. Et puis la ville revit, vous avez entendu ? Après le retour du gouvernement, voilà les théâtres qui rouvrent ! On va peut-être passer un Noël normal ! »

Maurice lui adresse un signe de tête qu’il veut amical, puis ouvre la serviette qu’il transportait avec lui dans le train. Il sort une liasse de documents. Sur le premier papier, on peut lire « Mouvements de troupes allemandes sur le front de l’Aisne et de la Marne. Attaques ennemies à prévoir avant le 25 décembre ».

« Un Noël normal, vous disiez ? Presque normal », lâche Maurice en pensant aux soldats au front.

Dans un coin de la pièce, il prend l’un des tiroirs de son bureau, jetés là lors du départ en urgence d’il y a plusieurs mois. Il l’époussette puis le glisse à sa place.

Il est de retour chez lui.

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