26 décembre 1914 – Chablis – Une lettre

C’est une simple lettre, posée sur le coin d’une cheminée, au pied de la photo encadrée de deux enfants souriants au milieu des vignes. On peut y lire :

Je n’ai pas la chance de vous connaître, mais j’ai eu celle d’être aux côtés de votre fils durant ces derniers mois loin de chez lui. À l’heure où vous apprenez la plus terrible des nouvelles, je souhaiterais vous offrir humblement, par le biais de ce courrier, quelques moments supplémentaires avec Guillaume.

Votre fils nous a rejoints à la caserne d’Aubervilliers comme tant d’autres venus de toute la France pour faire leur devoir. Je sais que cette lettre n’a guère de sens dans les circonstances que vous traversez, mais sachez que dès l’instant où il a été à mes côtés, Guillaume a fait bien plus que ce qui lui était demandé. Chaque nuit, il a été là pour moi. Il m’a rassuré lorsque j’avais peur, épaulé lorsque nous devions accomplir les tâches les plus ardues, et fait rire lorsque j’en avais le plus besoin. Il l’a fait pour moi comme il l’a fait pour chacun des camarades que compte notre escouade.

Guillaume ne s’est jamais dérobé devant le danger, et en Belgique comme en France, il a été sous les obus et la mitraille avec un grand courage. Il a chargé la baïonnette au canon et a connu avec nous les moments les plus douloureux comme les plus grandes joies.

J’emporte de votre fils l’image de cet ami, debout sous les étoiles, qui apprend aux pauvres citadins que nous sommes à reconnaître les cris des animaux nocturnes, avec la patience d’un professeur. J’emporte de lui son rire et vous envie d’avoir eu la chance de l’entendre durant bien des années quand je n’ai pu le partager avec lui que quelques mois.

J’imagine que vous souhaitez connaître le sort de votre fils, et que le rapport que vous avez reçu vous indiquera qu’il est “tombé à l’ennemi”. Sachez que Guillaume a été touché alors qu’il s’assurait, à côté de moi, du bon état de nos défenses. Il a reçu une balle avant d’avoir pu se mettre à l’abri, et jusqu’au bout, nous avons pu parler avec lui. Sachez que ses dernières paroles ont été pour sa famille.

Nous avons donné à votre fils la meilleure des sépultures que nous ont permis les circonstances. Il a été enterré entouré de ses amis et camarades et en présence d’une musicienne. Nous avons déversé sur lui la terre de son pays qu’il transportait dans une bourse, et il dort à présent au cimetière communal de Sapigneul, en Champagne.

Lorsque la guerre sera terminée, et si j’ai la chance de rentrer chez moi, comme je l’aurais tant souhaité pour Guillaume, je vous emmènerai sur sa tombe.

Je vous souhaite de trouver la force de surmonter l’incommensurable douleur qui est la vôtre. Et de ressentir toute la fierté et la joie d’avoir eu un fils comme Guillaume.

Vous présentant aussi bien mes respects que mes condoléances,

Son camarade et ami,

Antoine Drouot

On peut encore lire sur l’enveloppe, sous la tache humide d’une larme :

Remis le 25 décembre.

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