Zoom sur : la bataille de l’Artois

Le 24e d’infanterie vient de subir des pertes sévères durant l’offensive de l’Artois.

Mais de quoi s’agit-il ? Cette offensive, vue depuis un bureau de l’état-major, n’a rien à voir avec ce que peut en voir Antoine. Car cette offensive a bien des enjeux. D’abord, celui de faire oublier les revers essuyés sur ce même terrain en 1914, où une bataille a déjà eu lieu mais où l’armée française n’est pas parvenue à crever les lignes allemandes. Ensuite, c’est l’espoir de lancer la reconquête du Nord de la France : regagner le contrôle de ses mines et de ses usines, inestimables en temps de guerre, et s’emparer du réseau de chemin de fer très dense que les Allemands utilisent pour déplacer leurs troupes. Il y a aussi des enjeux politiques, avec le besoin de prendre l’initiative pour rassurer la population et l’assurer que l’armée française fait la guerre plus qu’elle ne la subit. Et puis, c’est aussi diplomatique : les Russes sont en difficulté à l’Est, et ils signalent ouvertement qu’ils ont grand besoin que les alliés augmentent la pression à l’Ouest pour obliger les Allemands à y envoyer des troupes prélevées à l’Est.

À l’échelle d’un soldat, ce sont des cantonnements, des tranchées, des mitrailleuses… mais en haut-lieu, c’est bien plus que cela !

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Le front Ouest en 1915

Hélas pour les alliés, c’est aussi le choc de deux conceptions de la guerre à l’Ouest. Les Français ont tout misé sur l’offensive : leurs tranchées sont en terre, constituées d’abris étayés comme on l’a pu, et elles manquent autant d’hygiène que de confort, et bien évidemment, de sécurité face aux bombardements. L’opposé exact de la stratégie allemande : puisque le front est immobilisé, ils sont sur la défensive. Leur objectif est de tenir à l’Ouest, pendant que le gros de leur offensive se porte à l’Est. Une fois la Russie vaincue, il pourront reporter tout leur effort à l’Ouest vers la France et ses alliés… un front à la fois.  Les tranchées allemandes sont donc bien plus fortifiées que les françaises : on y trouve des abris bétonnés, des défenses fixes, des tunnels…

Pour l’état-major français, fortifier ses lignes de la même manière serait un choix lourd de conséquences : cela reviendrait à reconnaître que l’ennemi est en terre française pour longtemps. Un symbole difficile. Que paient au prix fort les soldats en première ligne.

L’offensive est lancée le 9 mai 1915 après un fort bombardement d’artillerie. Dans un premier temps, les troupes françaises parviennent à enlever plusieurs ouvrages et la presse célèbre la reconquête de villages par l’armée alliée. À la tête du corps d’armée qui obtient les plus grand succès, un nom apparaît : celui d’un certain général Pétain. Mais rapidement, les réserves allemandes entrent en jeu, et la bataille devient acharnée pour contrôler le moindre mètre carré de terrain. Jour après jour, l’armée tente de mettre en avant les villages et lieux dits qu’elle est parvenue à reprendre, présentant l’offensive comme un succès. Ce que la presse évoque moins, ce sont les pertes, effroyables. Les Allemands sont non seulement solidement retranchés, mais disposent d’une supériorité tactique et matérielle évidente. Leurs mitrailleuses sont placées de manière à prendre les vagues d’assaut françaises sous des feux croisés, et les soldats racontent comment une fois blessé, il ne faut surtout pas bouger, car les mitrailleuses tuent minutieusement tout ce qui vit sur le champ de bataille. L’artillerie allemande intervient de manière précise et efficace, et surtout, dispose de canons lourds en bien plus grand nombre que les Français, qui peinent à regrouper quelques pièces, pourtant les seules capables de détruire les fortifications bétonnées ennemies.

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Une tranchée allemande : le sol est en bois, les parois fortifiées.

Le 24e d’infanterie paie le prix fort durant l’offensive avant d’en être retiré. Mais les combats ne s’arrêtent pas pour autant : ils dureront encore jusqu’au 25 juin, lorsque l’état-major français décidera que les pertes ont été trop élevées pour des résultats trop faibles.

D’un point de vue stratégique et politique, l’offensive n’était pas un échec complet. Certains essayaient même d’y voir une demie-victoire. Après tout, du terrain avait été reconquis, y compris des sites fortifiés, ce qui avait permis de mettre sous tension le commandement allemand. Pour stopper l’offensive, celui-ci avait d’ailleurs dû mobiliser ses réserves en nombre, soulageant d’autant le front Est, soit l’un des objectifs de l’opération. Enfin, les tranchées prises à l’ennemi avaient permis de les étudier et de comprendre le système de défense que l’armée allemande avait mis au point les mois précédents. Avant même la fin des opérations, une dure leçon était apprise : l’armée française avait besoin de matériel lourd. Sans celui-ci, elle serait condamnée à sortir ses troupes sur un terrain battu par les mitrailleuses. Une leçon qu’il allait falloir traduire en actes…

Et pour les hommes et leurs familles ?

L’offensive coûta la vie à plus de 16 000 hommes, 63 000 furent blessés, et 21 000 furent portés disparus, rien que pour l’armée française. Les Britanniques, qui participèrent à l’offensive, comptaient près de 28 000 pertes. Quant aux Allemands,  ils perdirent 65 000 hommes. Soit près d’un des leurs pour deux soldats alliés. Un chiffre élevé, mais une victoire malgré tout pour l’empire allemand.

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Reconstitution d’un assaut français en tenue du printemps 1915

Pour l’anecdote, l’image en tête de cet article est tirée du Petit Journal Illustré du 30 mai 1915…  et représente les « glorieux combats de l’Artois ».

Un grand décalage entre la vision de la presse et la réalité.

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